Le 2 avril 2020, la radio américaine NPR fait un reportage sur l’inefficacité des respirateurs par rapport au covid 19 sous le titre : « Ventilators Are No Panacea For Critically Ill COVID-19 Patients » (https://www.npr.org/sections/health-shots/2020/04/02/826105278/ventilators-are-no-panacea-for-critically-ill-covid-19-patients). L’animateur de l’émission ouvre son reportage en ces termes “most coronavirus patients who end up on ventilators go on to die, according to several small studies from the U.S., China and Europe. And many of the patients who continue to live can’t be taken off the mechanical breathing machines.”
Le 23 avril 2020, c’est la cellule d’investigation de France Inter qui enfonce le clou avec le titre: “Coronavirus : 8 500 respirateurs produits… pour rien ?” (https://www.franceinter.fr/coronavirus-8-500-respirateurs-produits-pour-rien) La conclusion d’un des anesthésistes – réanimateurs interrogés pour cette émission est claire : « Si vous vous en (appareil conçu en urgence par Air Liquide, PSA, Valeo et Schneider electric) servez pour un syndrome respiratoire aigu, vous avez un risque de tuer le patient au bout de trois jours. Parce que ce n’est pas fait pour ça. Les malades du Covid-19 ne sont pas faciles à ventiler. Il faut des respirateurs performants avec des systèmes de contrôle des pressions et des volumes. » Il poursuit : « au mieux, on peut s’en servir pour transporter un patient une demi-heure pour un scanner, mais c’est le maximum qu’on puisse demander à cet appareil »
Une note plus positive sur les respirateurs vient tout de même d’Un collectif de chercheurs français (qui) a mis au point un respirateur dont le coût de production est bien inférieur à celui du marché (https://www.lci.fr/sante/coronavirus-un-respirateur-made-in-france-a-1-000-euros-2152087.html).
La rédaction de LCI qui fait part de cette invention dans son édition du 26 avril 2020 résume ainsi : « Un collectif de chercheurs français planche actuellement sur un prototype de respirateur dont le coût de production est bien inférieur à celui d’un respirateur classique. L’appareil est destiné aux malades du coronavirus (Covid-19) qui sont en réanimation. Depuis presque un mois, 250 volontaires – médecins, chercheurs, ingénieurs – travaillent jour et nuit pour mettre au point cet équipement médical, dont les hôpitaux manquent cruellement depuis le début de l’épidémie. « La machine fonctionne. Elle a été conçue spécifiquement pour les malades du Covid-19 », souligne Baptise Jamin, co-concepteur du respirateur « MAKAIR » ».
Les avis de scientifiques restent ainsi très variés sur la nécessité ou non de se lancer dans une course à la fabrication des respirateurs pour lutter contre le covid 19. Pour notre part, nous pensons que cette discussion ne relève pas d’une logique binaire qui se récapitulerait par ceux-ci ont raison et ceux-là ont tort. En étant attentif à ce que les uns et les autres affirment, nous voulons partager notre réflexion sur ce sujet pour la RDC, notre pays.
La RDC, un pays de plus de 80 millions d’habitants, est divisé en 8 504 aires de santé regroupées en 516 zones de santé (ZS). En principe, chaque ZS doit posséder un hôpital général de référence (HGR) et chaque aire de santé doit avoir un centre de santé (CS). Dans le dernier plan national de développement sanitaire 2019 – 2022, il est reconnu que seuls 393 ZS ont un HGR et il n’existe que 8 266 CS à travers le pays. Considérant que chaque HGR doit disposer d’au moins d’un service de réanimation (en salle d’urgence), d’un service de soins intensifs, d’un bloc opératoire et d’une salle de réveils et sachant que chacun de ces services doit avoir au moins un lit équipé de respirateur, nous pouvons estimer que la RDC a besoin d’un minimum de 1 372 respirateurs (393 HGR x 4) soit environ 1 respirateur pour 60 000 habitants. Partant de ce dernier taux, la ville de Kinshasa (12 millions d’habitants) devrait disposer d’au moins 200 respirateurs. Les données actuelles indiquent une cinquantaine. Il y a ainsi un déficit d’au moins 75 %.
Les patients atteints de COVID-19, dans sa phase sévère, présentent une détresse respiratoire qui nécessite d’être soulagée, pendant quelques jours, grâce au respirateur, si nous nous en référons aux pratiques actuelles des hôpitaux à travers le monde. En attendant qu’un médicament ne dispense les malades du passage par le respirateur, nous devons anticiper pour nos hôpitaux au cas où la courbe de l’épidémie suivrait la même allure que celle constatée en Europe, en Asie et aux Etats Unis. (Ce que nous n’aimerions pas observer chez nous!)
Tout en suggérant que nous devons anticiper, nous sommes aussi conscients qu’en cette période de pandémie, le gouvernement de la RDC fait face à de multiples problèmes à la fois et il ne peut que difficilement dégager un budget conséquent pour rattraper le déficit en nombre de respirateurs dont le pays pourrait avoir besoin en cas de propagation incontrôlée du covid 19. Il nous semble donc important de nous mobiliser pour doter nos hôpitaux de respirateurs qui soient produits localement, pour éviter la dépendance à l’extérieur dont le méfait a cruellement mis en difficulté des gouvernants occidentaux, y compris pour des objets apparemment aussi simples que les masques de protection.
Concrètement, comme partout dans le monde, nous avons créé une équipe de travail pour produire un respirateur fabriqué en RDC. Le fait de se lancer après les autres et profitant du fait que notre courbe d’évolution du covid 19 est encore clémente, nous voulons profiter de leurs expériences pour proposer ce qui suit dans la perspective de la fabrication d’un respirateur pilote après notre prototype fonctionnel:
- Notre respirateur doit respecter les exigences cliniques liées aux comportements spécifiques des patients covid 19. Plusieurs technologies proposées en open source prennent bien en compte ces exigences malgré une insuffisance d’expertise sur une maladie encore nouvelle et, par suite, non encore entièrement circonscrite. Cette limite justifie l’implication des médecins à plusieurs niveaux dans notre équipe. Nous attendons d’eux une double expertise : d’une part, ils doivent aider à suivre tous les paramètres médicaux nécessaires (pressions d’oxygénation, volume d’air nécessaire, filtrage indispensable, rythme d’inspiration et d’expiration adéquat, etc) sur chaque patient, pour un paramétrage efficace du système. D’autre part, ils doivent proposer les médicaments substitutifs capables de freiner l’emballement des anticorps qui détruisent les poumons et entraînent alors la mort.
- Notre respirateur doit être conçu avec le souci d’une manipulation aisée. Le pays ne dispose pas seulement d’un nombre insuffisant de respirateurs, mais il n’a pas non plus un nombre suffisant des compétences spécialisées en réanimation. Si la technologie vient en appui, il faudrait alors que certains médecins et/ou infirmiers soient reconvertis assez rapidement en anesthésistes – réanimateurs, pour réellement suivre les malades de manière appropriée.
- Notre respirateur doit être facile à maintenir. Si nous pensons que nos respirateurs doivent être proposés, à moyen et long terme, pour la plupart de nos HGRs à travers le pays, ils doivent absolument être de maintenance aisée. Autant, nous manquons d’ingénieurs biomédicaux, autant nous manquons aussi de techniciens spécialisés dans la maintenance des dispositifs médicaux. C’est ainsi que nos respirateurs sont en train d’être conçus avec le souci que des ingénieurs formés en technologies industrielles soient capables de les entretenir avec un minimum de complément de formation. L’idéal reste bien entendu que nos universités fassent place aussi à la filière maintenance des systèmes industriels, y compris des systèmes utilisés en milieu hospitalier.
- Notre respirateur ne doit pas se limiter à une utilisation pour le traitement du covid 19. Notre souhait profond est que nous n’en ayons pas besoin par rapport au covid 19 dans l’espoir que tous nos malades guérissent avant l’étape de la détresse respiratoire. L’investissement ne sera pas pour autant inutile, car un respirateur bien fait et répondant aux normes sanitaires, sera toujours utile en milieu hospitalier pour notamment les salles d’urgence, les salles de soins intensifs, les blocs opératoires ou les salles de réveils. Il pourrait aussi être utilisé, comme suggéré dans le reportage de France Inter ci-haut mentionné, lors de transfert de malades d’un CS ou d’un lieu d’accident vers un HGR.
- Notre respirateur est conçu avec une participation importante des étudiants ingénieurs de l’ULC et de STEM DRC Initiative. Ils ont certes été encadrés par leurs enseignants, des professionnels et autres chercheurs, mais leur dynamisme et leur curiosité les poussant à compléter leurs formations par des connaissances propres aux domaines thérapeutiques et cliniques, nous interpellent et mettent en évidence une carence qui devrait vite être comblée : la filière ingénierie biomédicale. Nos universités devraient s’y pencher car l’intrusion de la technologie dans les traitements médicaux ira croissante et nous avons intérêt à combler notre retard.
En conclusion, le covid 19 est un malheur mais aussi une opportunité. C’est un malheur parce qu’il tue mais une opportunité parce qu’il nous oblige à repenser notre manière de vivre qui ne faisait plus place à une « distanciation » nécessaire par rapport à nos certitudes illusoires. Pour nous qui sommes dans le milieu universitaire, il vient nous rappeler la nécessité d’adapter nos filières de formation (en faisant rapidement place à l’ingénierie biomédicale et à la maintenance des appareils médicaux). Nous devons aussi faire évoluer nos méthodes d’enseignement en intégrant l’utilisation des technologies numériques qui rendent possibles les enseignements à distance – qui auraient tellement permis de continuer les enseignements même en confinement.
P. Kazadi Tshikolu Romain, sj
Directeur/ Doyen
Faculté d’Ingénierie ULC Icam
Université Loyola du Congo
Membre du comité de pilotage et Directeur Technique du projet Respirateur-RDC (www.respirateur-rdc.org)
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E mail : tshikolo.kazadi@ulc-icam.com